Harar

La ville intra­mu­ros est un petit cocon de cou­leurs et de sons, d’ombres et de lumières. Les mos­quées, les tom­beaux sont comme des points apai­sants rap­pe­lant l’immanence de notre court pas­sage sur terre, comme de petites ten­ta­tives d’éternité des­ti­nées à aider les vivants.

On se sent comme enve­loppé de leur pré­sence qui se dis­sout dans le flux de vie du quo­ti­dien, des odeurs de café et de viande fraîche, de merde et de cha­leur ani­male, des gaz d’échappement et des épices sur les marchés.

Tout se mélange, les effluves n’ont pas le temps d’être écœu­rantes que les par­fums prennent la suite des puan­teurs et trans­forment les pen­sées, les per­turbent, les réorientent.

On tente de se rac­cro­cher à une cou­leur qui sera détrô­née par une autre encore plus vive, un bleu mélan­geant tous les eaux et tous les ciels, un rouge bien plus absor­bant, un jaune imper­tur­ba­ble­ment trou­blant, un vert qui fait bas­cu­ler dans autre chose, un blanc sans limites ouvrant sur une trans­pa­rence infinie.

Les forment et les cou­leurs consti­tuent un caléi­do­scope d’un envou­te­ment ras­su­rant, un chaos apai­sant, où l’on se laisse glissé entre les murs, gui­dés par la lumière et le hasard des embran­che­ments de rues, les enfants qui courent, l’étrange attrac­tion des filets de lumière per­çant portes entre ouvertes, d’innombrables sur­prises dans les ombres ainsi que la brise légère et rafraichissante.

Bien sûr il y a un petit peu trop de cir­cu­la­tion auto­mo­bile dans la rue prin­ci­pale tra­ver­sant la ville et menant à la place cen­trale, mais pour rien au monde on ne sou­hai­te­rait moins d’agitation. On se sent bouillon­ner, enve­loppé par la ville sans que celle-ci ne nous écrase comme le sont les grandes villes.

La taille d’Harar fait croire que l’on peut connaitre en quelques jours la plu­part de ses secrets. Pour­tant la topo­gra­phie n’est pas habi­tuelle et sa den­sité peu com­mune.

On perd vite le sens de l’orientation.

Les rues sont courbes, tournent dans un sens ou dans un autre, montent et redes­cendent, ouvrent sur d’autres rues et l’on finit par se retrou­ver aux pieds des rem­parts, dehors, sans même avoir com­pris par quelle porte on a pu pas­ser comme si la ville avait voulu nous jouer un tour. Il faut alors lon­ger le grand mur et ren­trer par la porte sui­vante ou par de petites ouver­tures trouant les rem­parts fré­quen­tés par les seuls habi­tués des lieux.

Toutes les portes don­nant sur les cours des habi­ta­tions sont ouvertes ou entre ouvertes. Il y a tou­jours un filet de lumière qui passe, un caillou bloque les bat­tants afin que toute per­sonne sou­hai­tant entrer puisse le faire. Et dans l’entrebâillement il y a tou­jours un enfant qui joue, une femme qui lave son linge, un vieil homme qui prend le soleil, un chien qui dort…

Si la ville s’éveille dès 6 h du matin, le mar­ché ne se met véri­ta­ble­ment en place que vers 10 h dans les rues pas­santes, les com­merces font de même.

Tis­sus, pièces déta­chées pour tous véhi­cules, bijoux, cafés, ven­deurs ambu­lants de chewing-gums, de boites d’allumettes et de mou­choirs en sachet…

Il y a des femmes qui pré­pa­rent le café tra­di­tion­nel (buna) sur un petit réchaud de char­bons, des coif­feurs, une bou­tique de café ne ven­dant qu’une seule sorte de café dont les sacs couvrent les étagères et rem­plissent la vitrine pour don­ner une sen­sa­tion d’abondance, des phar­ma­cies, de l’élec­tro­mé­na­ger…

La ville et le pays ne manquent de rien, on y retrouve tout ce que l’on peut trou­ver chez nous, le trop-plein en moins, l’essentiel en plus.

À la ter­rasse d’un café, cinq filles voi­lées et têtes nues mélan­gées nous dévi­sagent, nous jaugent, nous évaluent et rient des bons mots qu’elles font sur nous. Nous aurions le temps, nous irions les rejoindre pour dis­cu­ter et rire avec elles. Mais nous pré­fé­rons res­ter dans la contem­pla­tion fai­gnante, affa­lés sur nos sièges comme des éponges fati­guées des 10 h de routes de la veille, à ten­ter d’absorber toutes les sen­sa­tions qui nous tra­verses et régé­nèrent nos esprits encras­sés du jeu des vani­tés occidentales.

Et nous irons nous perdre encore dans les rues d’Harar.

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