Jean Oury

Jean Oury faisait des conférences depuis… toujours, dans un amphithéâtre de l’hôpital Saint-Anne. Ça faisait bien longtemps que j’avais envie d’y aller. On était en hiver, il faisait froid, j’étais arrivé en avance et je regardai les gens arriver, essayant de deviner qui ils étaient, à quels groupes sociaux ils appartenaient, etc.

La conférence commença par les brèves, quelques références de lectures et puis Jean Oury se lança enfin. Il énonça une idée puis prit un premier chemin, puis un autre, puis encore un autre et ainsi de suite. Parfois, je n’arrivais plus à la suivre, mais il revenait toujours à l’idée d’origine et reprenait un autre chemin. On avait l’impression de suivre un de ces chiens qui font 20 fois votre chemin lorsqu’il vous accompagne. Doté d’une énergie incroyable, totalement increvable, épuisant rien qu’à les regarder…

Ce mouvement de va-et-vient de la pensée durait depuis un bon moment, je fatiguais vraiment, quand tout à coup, au détour d’une phrase une très forte lumière m’éblouit. Tout ce qu’il venait accumuler de mots, de phrases, d’idées se trouvait soudainement réuni en une évidence sidérante. Je crus devenir intelligent et extralucide sur l’univers et puis tout disparu. J’étais juste sonné, heureux et encore plus fatigué.

Je regardais les gens autour de moi. Chacun reprenait son rôle, ne sachant trop quoi faire, je repris le mien.

J’ai revu Jean Oury à la clinique de La Borde sans toujours lui adresser la parole, juste le photographiant à distance respectueuse.

Il était de ces personnes qui, pour peu qu’elles nous plaisent, donnent le sentiment que notre vie pourrait basculer à leur contact. Alors on ne sait trop si l’on doit y aller ou les regarder passer. J’ai laissé faire le hasard, il ne s’est rien passé de plus et j’en garde un grand sentiment de plénitude fait d’une certaine fierté de l’avoir côtoyé, sans en avoir pourtant aucun mérite, d’avoir capté par imprégnation une toute petite part de sa pensée qui m’a fait avancer dans la vie.

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