Jeu de l’oie
De loin, les crient semblaient bon enfant et puis quand on m’a expliqué l’activité, ils m’ont semblé moins agréables. Se transformant en éructations. Je suis donc allé voir.
La pratique daterait du moyen-âge. Le jeu consiste à bander les yeux d’un joueur qui va avancer avec un sabre émoussé, guidé par un petit tambour ainsi que les paroles de la foule, vers une oie morte suspendue par les pieds à laquelle il devra trancher le cou.
La foule criait certes, mais il n’y avait pas cette excitation malsaine provoquée par le sang et la mort. Plutôt la volonté d’aider ou d’embrouiller le joueur avec beaucoup d’humour. Le cadavre de l’oie, n’était pas l’objet du jeu, juste une masse nécessaire et pratique de par ses caractéristiques physiques afin de rendre l’action plus difficile.
Les photographies théâtralisent l’action et ne rendent finalement pas compte de l’atmosphère véritable du moment. Tout comme les cris au loin donnaient une interprétation fausse de l’événement. La présence du sabre comme arme donnant la mort crée une dimension tragique alors que cela ne dure qu’une fraction de seconde. Il faut bien entendu photographier toute l’action et donc la progression du joueur vers l’oie ainsi que le moment où il frappe la bête, mais ne retenir que la dernière action donne une image fausse de l’ambiance globale du jeu.
Tout comme réduire une manifestation politique qu’aux casseurs en fin de cortège occulte les revendications du cortège.
Il est toujours plus tentant de photographier le spectaculaire que l’inaction, l’action que l’attente, la violence que le calme… Quoi qu’ils en disent, c’est ce que voudront les journaux et c’est ce que retiendront les lecteurs.
On peut donc avoir deux lectures de l’événement. D’un côté, un homme avec un sabre symbole de toute puissance, du pouvoir de trancher la vie d’un animal fragile et sans défense avec autour une foule qui cri. Et de l’autre, un individu aveugle, avec un sabre émoussé rendant dérisoire son acte de frapper un animal déjà mort et un public qui s’amuse à le faire tourner en bourrique. Loin de la toute-puissance, il n’y a qu’un homme seul qui ne peut se déplacer qu’avec l’aide d’un public plus ou moins taquin, dont l’arme n’est pas fiable et qui devra frapper un cadavre inanimé et pourtant rebelle.
Tout le monde peut participer (hommes / femmes / enfants). On ne sort pas de la condition humaine, il n’y a pas de super-héros. On demeure dépendant du groupe qui nous fait vivre. L’outil, ou la technologie, n’apportent pas la toute-puissance et l’acte de frapper est dérisoire puisque la mort a déjà eu lieu. C’est plutôt un jeu de dépossession, de double pantin, l’homme aveugle et titubant face à l’oie pandouillante et récalcitrante.
Il faudrait faire évoluer le jeu en utilisant un substitut moins macabre à l’oie déshumanisée, car cela ne serait pas un renoncement à la fête et ses symboles populaires, mais permettrait de monter d’un cran dans la dignité et le respect du vivant (et donc de la mort). Perçu parfois comme une sensiblerie, cette sensibilité au vivant est d’autant plus importante que nos sociétés ont atteint un degré d’autodestruction des cultures et de l’environnement tels que la sacralisation du vivant, et de la mort, avec aussi ses excès, apparait comme un des derniers remparts à la barbarie.