Quitter Berlin…
Ça avait beau être l’armée, que l’on avait appréciée modérément, qui nous avait permis de vivre cette année berlinoise, on allait bientôt pouvoir reprendre le fil de nos vies en France mais justement, on en avait peut-être pas tant envie que ça.
On avait vécu dans et avec cette ville une sorte d’histoire d’amour intense, elle nous avait offert l’expérience de la densité d’un temps suspendu puis celle de la rencontre avec l’Histoire avec la rupture du siècle et la chute de son Mur.
Nous quittions une part de nous-mêmes, une époque et un monde, qui déjà n’étaient plus. Même avec le sentiment d’éternité que nous ressentions comme tous ceux qui ont vingt ans, le choc nous laissait groggy.
La tristesse du départ s’embrouillait dans une sorte de culpabilité. Ce passé était entaché de ce qu’avait été la RDA, il n’avait pu exister que parce que la RDA avait existé.
Nous ne pouvions, bien entendu, regretter la disparition de la RDA. Nous n’avions aucune nostalgie particulière pour son régime politique mais, par ricochet, nous savions que le Berlin dans lequel nous avions vécu n’existerait plus jamais, et que certainement, nous n’y aurions plus jamais notre place non plus.
Autour de nous les habitants continuaient de vivre à leur rythme sans se soucier de nous. Les bruits de la ville étaient les mêmes que les jours précédant, avant même de partir nous ne faisions déjà plus partie de la ville.
Trop de passé envahissait le présent. La fête était finie et ne s’était pas transformée en révolution. L’avenir semblait bien terne.
Ce passé, notre passé, ne pouvait donc qu’être condamnable moralement et politiquement alors qu’il avait été l’un des meilleurs moments de nos vies de jeunes adultes et allait nous marquer à vie. Il fallait donc faire un travail de neutralisation, d’occultation voir de destruction d’une partie de nous même.
Un travail de deuil.