Trame générale

Avec plus d’une centaine de polars sur Berlin allant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours se dessine l’histoire de la ville au travers les représentations que nous nous en faisons.

Éradiquer les derniers nazis

Dans un premier temps, la confrontation se fait entre les américains et les nazis encore vivants. Ces derniers cherchent à revenir en complotant, en essayant d’attiser et tirer partie de la compétition entre américains et soviétiques. Il faut donc écraser la bête immonde qui n’est pas tout à fait morte.

Cette période est assez courte, car rapidement l’ennemie devient le soviétique.

Confrontation Est/Ouest

Le héros occidental est un individu fort, intelligent qui agit seul au service de tout un camp. Le soviétique est tantôt une brute épaisse, voir un groupe de brutes piloté par un bureaucrate, lui-même pris dans des intrigues obscures. Si l’occidental a aussi un supérieur bureaucratique, celui-ci est au service de son pays que le bureaucrate soviétique semble avoir des motivations plus sombres et marécageuses. On peut se moquer de son supérieur à l’Ouest alors qu’à L’Est on en meurt.

Lorsque le héros soviétique est un individu, on a souvent du mal à comprendre ses motivations profondes, il est comme un robot sans âme ou alors tellement sombre que cela lui ôte toute humanité.

Le propre des romans d’espionnages est qu’il n’y a jamais de vainqueurs. Tout est secret. L’homme de la rue ne se rend compte de rien. La lutte ne prend jamais fin et le temps semble toujours jouer en faveur de l’ennemie vu comme monolithique. L’occidental a parfois des états d’âme, le soviétique, jamais.

Généralement l’intrique n’est pas très complexe, ce genre de littérature n’appartient pas à l’intelligence, elle est dans le champ du complot. C’est donc tordu, mais médiocre. Il faut juste entretenir la pensée anti-soviétique, maintenir l’espoir à l’Ouest en ne baissant pas les bras, faire confiance au système.

L’espion qui venait du froid de John le Carré est, dans ce contexte, une exception rare. Mais nous y reviendrons.

Ainsi, longtemps, les romans d’espionnages fonctionnent sur cette trame. Avec plus ou moins de violence, de cynisme et d’érotisme. Jusqu’à ce qu’arrive Gorbatchev. Presque d’un seul coup, tous ces romans disparaissent. L’Histoire ayant invalidé et disqualifié leur vision du monde.

Chute du Mur de Berlin et changement de monde

L’ennemi traditionnel disparaissant il faut rapidement s’en inventer un autre. Avec l’ouverture des frontières, certains vont se réfugier dans l’arrivée supposée massive de mafias polonaise, ukrainienne et autres pays de l’Est qu’il faut combattre par les armes. Le héros est alors un loup solitaire sur-armé, qui rend la justice par les armes, étant donné que les politiciens sont aveugles ou complices. Mais cela ne dure pas non plus. Les faits, têtus ne suivants pas.

Parallèlement un nouvelle génération d’auteurs arrivent en littérature et nait le polar. Ils arrivent, pour beaucoup, du militantisme de gauche (anarchiste, extrême-gauche…). Abandonnant les groupuscules des années 70, ils se reconvertissent ainsi dans l’écriture pour continuer la critique sociale. Teinté de désenchantement (les années 80 libérales arrivent à grands pas avec les élections de Reagan et Margaret Thatcher).

Retour des nazis

Alors, comme l’espion, le héros est un homme désenchanté, qui tente de corriger les erreurs de la société et surtout la crainte du retour du fascisme. En effet, l’Allemagne de l’Est s’est construite sur le mythe d’une dénazification totale, pendant que celle de l’Ouest aurait passé pas mal de compromis afin de ne pas perdre de terrain face aux soviétiques. Pourtant, à l’Est aussi, des compromis ont eu lieu. Le Mur de Berlin tombant, les anciens nazis de part et d’autres peuvent alors espérer se retrouver et tentés de reprendre la main et reconquérir le pouvoir.

Tout comme la Russie de Boris Eltsine qui laissa le libéralisme et l’affairisme détruire les anciennes institutions, Berlin est en proie aux promoteurs immobiliers, aux rêves de grandeur de certains élus locaux portés par le triomphe du capitalisme. Dans ce genre de moment, il faut de l’argent et de la force. Les industriels de l’Ouest qui n’ont pas été totalement dénazifiés et qui ont fait profil bas durant 40 ans ont l’argent. Les groupuscules nazis de l’Est constitués de ramassis violent et frustrés ont la force. La collusion étant établi à un très au niveau dans la société allemande, ce ne peut pas être l’Etat qui va s’occuper de ce problème. Il faut donc encore un nouveau héros, ce sera l’alternatif. L’alternatif est bien pratique, il est en marge de la société, on ne le connait pas très bien, il est idéaliste et peut donc facilement se sacrifier pour une cause qui va le pousser à agir malgré le danger.

Interlude alternatif

Mais, une fois de plus, l’alternatif ne durera pas. Certes, la littérature aurait pu le conserver par des histoires complexes, mais les sociétés ne peuvent pas supporter longtemps un ennemi intérieur aussi dilué, d’autant qu’élection après élection, les mouvements d’extrême droite n’ont fait que grimper et qu’économiquement, le capitalisme s’est étendu sur de nombreux domaines de la vie quotidienne. Pour qu’un héros demeure, il faut quand même, même s’il appartient à l’ombre, que quelques fait sociétaux lui donne raison. Pour le dire autrement, aussi noble soit sa cause, elle ne fait que perdre du terrain. Ce n’est pas très porteur…

Abandon du présent

Là encore, une question de génération, répond à l’impasse du moment. Les nouveaux auteurs sont historiens ou proches et arrivent massivement les romans historiques.

Il n’y a plus de critique sociale, le polar est fatigué d’annoncer la catastrophe, il n’y a plus de confrontation claire, juste un grignotage insidieux, la monté de l’individualisme, la dilution du collectif avec l’arrivée d’Internet.

Le roman historique à cela d’agréable qui remet en place un monde manichéen. Le nazis est le méchant absolu, le soviétique possiblement, mais c’est assez clair avec le recul historique. L’atmosphère est posée. Que l’intrigue se déroule en 1932, en 1939 ou en 1945 à tous moment de la période nazie en l’Allemagne, on a une vision de chaos, de folie des foules, de désespoir des victimes, de destruction… Toutes les intrigues, à base de faits réels ou pas, peuvent donc se déployer puisque l’on connait le cadre et la fin et que de tout manière tout est balayé par l’effondrement final. On peut se faire peur à moindre frais, la période est clause.

Berlin sort de l’Histoire et devient une capitale comme un autre. L’attention du monde se déplace vers d’autres lieux.

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