La traversée de la RDA
J’avais déjà été deux fois à Berlin en voiture du temps de la RDA mais étrangement je n’ai aucun souvenir de la route et du passage des frontières entre les deux Allemagnes et entre l’Allemagne de l’Est et la ville.
Cette fois-là, l’Allemagne de l’Est allait disparaitre dans quelques heures. Certainement à cause de cela, tout ce que je voyais me fascinait, ce serait la dernière fois que ça existerait.
Du coup, je photographiais tout au long de la route tout ce qui me semblait déjà devoir disparaitre, être balayé rapidement, tous les signes d’un présent déjà dépassé.
Le présent était encore rempli d’un passé que l’avenir condamnait sans appel.
C’était un peu comme si chaque photo prise condamnait son sujet, je portais à la fois le poids de ces choix et celui d’en être le gardien de la mémoire. Un peu comme pour un être que l’on aime et que l’on photographie pour se souvenir de lui, garder à tout jamais le moment passé ensemble car on pressent déjà que ça ne durera pas. On veut à la fois marquer le temps, les étapes de la relation pour la construire mais avec la crainte que tout cesse à tout instant.
Lors du passage du poste frontière entre les deux Allemagnes, celui-ci me sembla démesurément grand et vide. Il n’y avait plus de contrôle. Les grillages, les signes de puissances comme les miradors ou les chars d’assauts posés sur des socles apparaissaient comme les éléments dérisoires d’un décor kitch.
La musique de la radio cassette se mit à jouer la chanson « Prïtourïtze Planinata » des Mystères des voix bulgares comme un chant de mort et de renaissance. Un cycle prend fin et un nouveau va s’ouvrir, la crainte est toujours de se retrouver entre les deux et de n’appartenir à aucun.
Quelle place avoir dans la société, dans la mémoire collective et finalement dans sa propre mémoire ?